La compréhension, l’évaluation et le traitement de la douleur et du patient douloureux sont une préoccupation quotidienne de tout professionnel de santé. D’ailleurs ceci constitue depuis 2004 une priorité de santé publique.
La douleur est chose abstraite souvent qualifiée à tort d’imaginaire puisqu’immatérielle.
« La douleur est virtuelle pour celui qui ne la ressent pas » (Florence Morille).
De ce fait, l’expertise de sa douleur revient au malade qui en souffre et qui est le seul à pouvoir décrire ce qu’il ressent de façon fiable. Ressentir, percevoir une sensation n’est-ce pas son interprétation, sa traduction, exprimé avec des mots résultants d’un « travail cérébral » de l’idée qu’on s’en fait.
Sans perception il n’y a pas de douleur ; mais toute perception est le fruit de l’élaboration faite par notre cerveau.
La douleur c’est donc bien « dans la tête » dans le sens anatomique et non pas dans le sens péjoratif de l’expression populaire.
Oui, bien sûr toute douleur fait souffrir, mais toute souffrance n’est pas forcément douleur.
Toute souffrance est donc la conséquence de l’activation neurochimique et électrique de notre appareil psychologique, bien localisé dans des zones précises du cerveau par les techniques innovantes d’imageries fonctionnelles. Partant de ce postulat il n’y a donc pas de douleur sans « Psy », alors qu’il peut y avoir du « Psy » sans douleur (chagrin, deuil, tristesse…)
Pour évaluer la douleur et pour la reconnaître il faut qu’elle s’exprime par des paroles, par la sémantique sensorielle, mais aussi affective et émotionnelle. Dans certaines circonstances il n’y a ni l’une ni l’autre, mais le silence qui en dit long et le corps qui parle à la place de la personne, par des attitudes et des mimiques elles aussi guidées par le « Psy ».
De là à dire qu’il n’y a pas de douleur sans psy il n’y a qu’un pas.
Et c’est bien la distance d’un pas, qui sépare les somaticiens des psy ; ou bien mieux, la distance entre les deux disciplines est si petite, qu’en matière de douleur on ne peut se passer l’un de l’autre.
C’est bien la raison pour laquelle notre rubrique s’appelle AlgoPsy. Elle a pour vocation de nous rapprocher davantage. De ce fait nous avons supprimé le trait d’union, sans oublier pour autant que la douleur restera à jamais une alerte du corps dont l’analyse clinique s’attachera en premier lieu à la symptomatologie physique décrite par le malade.
Le terme algologie peut dès lors être indissociable de «algopsychologie», mais attention, qui dit douleur dit souvent handicap fonctionnel avec ses retentissements sur la vie quotidienne, aggravant le vécu psychologique de l’état douloureux et ses conséquences sociales pour la personne et son entourage.
Les dimensions somatiques, psychologiques et sociales de toute douleur, qu’elle soit aigue ou chronique amène à une approche pluridimensionnelle de la prise en soin des patients douloureux.
Congrès de l’EFIC 2023 à Budapest : La prise en charge psychologie clinique du sujet douloureux, une clinique du « sur mesure »
Anne Masselin-Dubois
Le congrès européen de l’EFIC a rassemblé cette année un grand nombre de cliniciens et chercheurs spécialistes de la douleur autour du thème de « la gestion personnalisée de la douleur, le futur est maintenant ! ». Les experts pluriprofessionnels médecins, kinésithérapeutes, psychologues, ont présenté des sessions plénières, ateliers pratiques sur des connaissances de pointe tant sur le plan clinique qu’en recherche fondamentale, expérimentale, et clinique.
La France était particulièrement bien représentée grâce au Pr Luis Garcia Larea, président de l’EFIC. Les participants ont pu bénéficier d’un accueil chaleureux, de sa disponibilité et d’une attention toute particulière tout au long du congrès. Rappelons que Didier Bouhassira, Nadine Attal ou encore Xavier Moisset, comptaient parmi les orateurs français sur les thèmes tels que les recommandations des douleurs neuropathiques, les discussions sur les biomarqueurs de la douleur, etc. Enfin, les membres du CA de la SFETD (Nathan Moreau et Anne Masselin-Dubois) ont souhaité être présents pour soutenir cet événement. Nous vous proposons de présenter les communications de ces chercheurs et cliniciens de la psychologie de la douleur.
Bien que le modèle biopsychosocial de la douleur soit établi et connu des professionnels de santé, l’application du modèle dans la pratique clinique ne semble pas encore aussi systématique que l’on pourrait le penser. Une étude qualitative adoptant le point de vue des professionnels de la santé sur les obstacles et les facteurs qui influencent l’approche biopsychosociale de la douleur musculo-squelettique a été développée. Une synthèse a été réalisée sur 25 études (sur 6571 résumés et 77 articles) sur les expériences et perceptions des professionnels des soins primaires engagés dans le traitement biopsychosocial de la douleur pour les troubles musculo-squelettiques. Les résultats rapportent les expériences de 413 professionnels de santé de 11 pays différents. 3 thèmes majeurs ont été identifiés et ont permis d’obtenir une vue d’ensemble des obstacles et des éléments facilitateurs dans l’ensemble du secteur de la santé. Les résultats soulignent, par exemple, le rôle des facteurs personnels, connaissances et compétences des professionnels de la santé, les modèles de financement, matériel de services de santé, la formation du personnel, les facteurs organisationnels et sociaux, et les politiques en matière de santé dans l’adoption d’une approche biopsychosociale.
Dans le domaine de la physiothérapie de soins primaires, le modèle biopsychosocial pour la douleur chronique semble encore peu appliqué en dépit des recommandations actuelles. Une étude exploratoire a souhaité étudier et cartographier les obstacles et les facilitateurs auxquels les kinésithérapeutes sont confrontés dans la prise en charge des troubles musculo-squelettiques. Huit groupes de barrières et de facilitateurs seront présentés tels que les connaissances, les compétences et les attitudes ; le contexte environnemental et les ressources ; la clarté du rôle ; la confiance ; l’alliance thérapeutique ; et les attentes du patient ont été identifiés.
Les psychothérapies ont été présentées dans diverses sessions du congrès. Elles ont été étayées tant sur le plan des avancées scientifiques que sur le plan clinique, notamment par le psychologue suédois Lance McCracken, qui a appliqué le modèle des thérapies d’acceptation et d’engagement (ACT) à la clinique de la douleur. Les rappels des fondamentaux de ce modèle original transdiagnostic de flexibilité psychologique soutenant des processus d’ouverture à la douleur ont été présentés. Les thérapies d’ACT sont bien entendu validées par de nombreuses publications empiriques sur un grand nombre de pathologies douloureuses. En revanche, les résultats des nombreuses études sur les psychothérapies, ces dernières années, demeurent néanmoins modestes, et les tailles d’effet faibles ou modérées. En effet, les résultats interrogent sur les différences interindividuelles et spécificités des individus ainsi masqués sous des résultats moyennisés.
Les thérapies d’auto-compassion ont été mises à l’honneur à l’EFIC dans une plénière de fin de congrès. En tant que réponse à la souffrance, la compassion s’applique directement à la gestion de la douleur notamment auprès de patients souffrant de cancer. Elle est fréquemment confondue avec d’autres termes de « soins » tels que l’empathie, et il est difficile de la mesurer concrètement. Larkin s’est intéressé à la signification et au rôle de la compassion dans la prise en charge de symptômes douloureux. Dans la littérature, il a été montré que la compassion participe au processus de prise de décision et des mesures sont proposées pour l’évaluer. Enfin, l’orateur a pu insister sur l’importance du contexte social (familial) et rappeler que la compassion envers autrui commence par celle envers soi-même.
Sur le plan psychopathologique, une session a souhaité apporter des connaissances et rediscuter les mécanismes sous-jacents à l’humeur dépressive du sujet douloureux chronique. En effet, la pratique clinique actuelle visant à améliorer la dépression dans le contexte de la douleur est complexe et les directives actuelles restent peu optimales. Une prise en charge ciblant les mécanismes de régulation des émotions a été présentée par la psychologue suédoise Katja Boersma. Celle-ci s’appuie sur une approche transdiagnostique, c’est-à-dire fondée sur l’hypothèse que la douleur chronique, l’humeur dépressive et la détresse partagent des fonctions et des processus qui déclenchent, maintiennent et contribuent à l’exacerbation de la cooccurrence observée.
L’exploration du rôle du contexte social de la douleur pédiatrique a fait l’objet d’une communication de grande qualité par Boerner. L’impact du contexte social sur l’expérience de la douleur tout au long de la trajectoire de développement a été présenté. De même, les nouvelles connaissances issues de la recherche sur les facteurs sociaux de la douleur pédiatrique habituellement centrée sur la dyade parent-enfant, ont été discutées dans une compréhension plus large de l’environnement social de l’enfant.
Un modèle développemental-biopsychosocial des influences du sexe et du genre sur la douleur au cours du développement a illustré la manière dont les facteurs sociaux peuvent fortement influencer ce qui est traditionnellement considéré comme des différences individuelles.
De plus, Kissi a centré ses propos sur la prise en charge de la douleur selon les disparités ethniques. Selon elle, les données actuelles suggèrent que les personnes de couleur sont moins susceptibles de recevoir des soins appropriés contre la douleur dans les pays où la majorité ethnique est blanche. Ces disparités raciales ont été observées dans différents contextes médicaux, dans différentes conditions de douleur et dans différents groupes d’âge.
La réflexion sur l’adaptation de la prise en charge pluriprofessionnelle a accompagné tous les professionnels de santé. Les kinésithérapeutes ont proposé une session sur le modèle de peur-évitement. Ce modèle ancien a ainsi été rediscuté à l’aide d’exemples d’études expérimentales et de situations cliniques.
Bien que des programmes de rééducation ou de reconditionnement à l’effort centrés sur les mécanismes d’apprentissage fassent aujourd’hui partie intégrante de la prise en charge de pathologies musculo-squelettiques, les orateurs se sont demandé s’ils sont à généraliser au patient tous azimuts quel que soit ses caractéristiques sociales, pathologiques, culturelles et psychologiques.
Par ailleurs, la révolution numérique a en effet radicalement changé les soins de santé, et les possibilités de mettre à disposition des traitements comportementaux n’ont jamais été aussi nombreux. La prévalence et les implications de la douleur chronique, pour les patients et la société, appellent à une large diffusion de programmes de santé comportementale fondés sur des données probantes et visant à améliorer la résilience à la douleur et à la détresse. Les solutions numériques peuvent contribuer à fournir des programmes d’autogestion conviviaux, adaptés, rentables et utilisables à la convenance des patients. Des programmes ont été présentés et laissent entrevoir une nouvelle conception de l’e-santé accessible et favorisant l’autogestion comportementale.
En conclusion, le congrès de l’EFIC a proposé un éventail fructueux de nouvelles connaissances scientifiques, clinique et d’avancées dans le domaine de la recherche. Le psychologue en clinique de la douleur y trouve un concentré d’apports théoriques et d’outils à mettre en application dans sa pratique. D’une manière plus générale, celui-ci aura peut-être pu laisser émerger de nouvelles perspectives de compréhension sur l’expérience douloureuse mais le regard porté par les experts amène à reconsidérer nos connaissances, nos postures cliniques et nos méthodologies de recherche. Ils nous renvoient aux limites de la démarche scientifique, de nos méthodes d’investigation et rappellent avec humilité l’importance de ramener le patient au centre du traitement. Adapter et spécifier les traitements comme des cas uniques suppose en effet probablement non pas d’adapter un modèle au patient, mais d’adapter la prise en charge dans ses dimensions bio-psycho-sociales aux caractéristiques du patient lui-même. Il s’agit ainsi d’accompagner nos patients douloureux par une prise en charge pluriprofessionnelle « sur mesure ».
©Association LDPD – Tous Droits réservés